Mon nouveau job

Publié le par Hildegarde

Papa a accepté de me laisser rentrer, à condition que je trouve un travail. Il dit qu’il ne supporterait pas de me voir de nouveau passer mes journées devant la télé, à roter mes Adelscott.

J’aurai accepté n’importe quoi pour quitter l’Écosse dans la mesure où, malgré la profusion de whisky et la tradition du « rien sous le kilt », je commençais à avoir le mal du pays. Le son de la cornemuse me donnait des envies de meurtre et mon casier judiciaire ne me permettait plus la moindre incartade. En plus, pour ne rien vous cacher, j’avais hâte de rencontrer Hanz.

J’attrapais le premier avion, bien décidée à tout recommencer à zéro. Il fallait que je fasse le deuil de mes heures de gloire de conférencière durant lesquelles j’étais reconnue, adulée, riche, belle et… Il fallait que j’oublie ça.


J’ai parlé de mes bonnes résolutions à papa qui a été ravi de tant d’humilité. Il a fait sa blague éculée depuis longtemps : « Qui que tu sois, sors du corps de ma prétentieuse de fille ! » Comme j’étais bien décidée à marquer des points auprès de lui, je me suis forcée à glousser niaisement. Il n’y a vu que du feu, aveuglé par la fierté paternelle.

Durant le trajet qui me ramenait à la maison, il m’a appris une nouvelle qui a atténué ma joie. Hanz était parti en cure d’amaigrissement. Stressé, il était devenu hyperphage. Il lui arrivait de se livrer à des orgies de nourriture qui écoeuraient papa. Il lui avait englouti sa réserve de chips goût jambon braisé et papa ne lui avait pas pardonné. Il l’avait même menacé : « Si tu ne fais pas quelque chose rapidement, je te passe à la casserole avec des carottes et de la moutarde ». Hanz avait alors accepté de s’enfermer quelque temps dans un institut spécialisé au sein duquel, paraît-il, il devait « réapprendre à manger ». N’importe quoi, comme si on pouvait oublier comment manger (moi, en tout cas, pas de danger que j’oublie).

Je faisais contre mauvaise fortune bon cœur et j’essayais de prendre la nouvelle avec philosophie. Quand je rencontrerai Hanz, je ne serai pas la petite délinquante fraîchement revenue de centre de redressement (papa avait un peu sous-estimé la chose en me parlant de pension), mais une jeune femme accomplie, travaillant dur pour gagner sa vie et le respect des siens. Cette définition de moi me donnait envie de pleurer d’ennui, mais qu’importe, je me devais de rentrer dans le moule (difficile vu la taille de mon cul).


J’avais déjà pensé à quelques jobs qui me conviendraient parfaitement, et je postulais pour chacun d’entre eux, après avoir peaufiné (et quelque peu falsifié) mon CV.


Ma première idée était de conduire un taxi-moto.

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J’avais encore la Harley empruntée à Arcachon, garée dans un garage en banlieue que j’avais loué au nom de maman (sait-on jamais). Je me suis renseignée et j’ai appris avec stupéfaction que, un, ma moto n’était pas réglementaire pour cette activité, deux, il fallait un permis pour conduire un tel engin et, trois, il fallait avoir le sens de l’orientation.

Alors là, je rigolais intérieurement. Un permis ? Désolée, mais j’ai souvent vu conduire des taxis-motos, m’étonnerait fort qu’ils aient obtenu le moindre permis. Quant au sens de l’orientation, c’était complètement obsolète. Avec les GPS, il suffisait maintenant de connaître sa droite et sa gauche et d’écouter la dame. Plus personne n’utilisait son sens de l’orientation, d’ailleurs j’étais intimement persuadée que, dans quelques années, par un phénomène d’adaptation naturelle, les êtres humains naîtraient sans sens de l’orientation, celui-ci étant devenu parfaitement inutile (c’est ce qui arrivera également au petit orteil, mais c’est une autre histoire).

 

Je devais donc me replier sur une solution intermédiaire et j’optais pour la décoration d’intérieur. J’avais un peu triché en m’attribuant des travaux de décoration qui n’étaient pas les miens, en me disait que, plus c’est gros, plus ça passe.

Hall-de-la-Cour-des-Comptes.jpg Malheureusement, allez savoir pourquoi, les éventuels employeurs que je rencontrais s’aperçurent de la supercherie et refusèrent de m’embaucher. Pourtant, le culot me semblait être une qualité dans ce travail. Il suffit de voir le montant des factures pour savoir que, pour eux également, plus c’est gros, plus ça passe.

 

Ma motivation commençait à s’effriter et je cherchais dans un tout autre domaine. Je choisissais un métier d’avenir : anti-nucléariste. Alors là, me disais-je, jackpot, il y a de la demande (merci Fukushima). Afin d’être totalement crédible, je préparais ma propre affiche.

Hildegarde Evolution J’en étais très fière. J’en avais profité pour me placer à l’étape suivante de l’évolution, parce qu’il était pour moi évident que vous, en mieux, c’est moi. Je me présentais aux recruteurs en leur expliquant qu’il semblait qu’ils avaient grand besoin d’un vent de nouveauté parce que leur slogan « Nucléaire, non merci ! » donnait envie de bailler. Ils avaient l’air séduits par ce qu’ils appelaient mon arrogance (n’exagérons rien) et m’ont proposé de prendre le poste. J’étais aux anges, enfin on me reconnaissait à ma propre valeur !

C’est lorsque j’ai évoqué ma rémunération que tout a dérapé. Ils ont ri de bon cœur puis, comme un seul homme, ils ont repris leur visage austère et m’ont demandé : « Vous êtes sérieuse ? ». Je l’étais, évidemment, je le suis toujours quand on parle d’argent. Il y avait un malentendu évident. Ils m’expliquèrent que le militantisme était un acte de conviction, sincère, altruiste et je quittais la pièce au mot « bénévole ».

Vous pensez que mon dealer va me fournir en crack bénévolement aussi ?

Oups… J’ai rien dit.

 

Bon. Je commençais sérieusement à désespérer. J’essayais de trouver d’autres pistes, et je me souvenais que, souvent, maman me disait « T’es drôle à ton insu, Louloute. Des fois, j’ai l’impression que tu le fais exprès, mais non, et ça me fait encore plus rire. » Ce n’est pourtant pas une partie de plaisir de faire rire maman, dans le genre cul-serré celle-là… Il fallait que je cherche dans cette direction, j’avais vraisemblablement un talent comique et je me devais d’en faire bon usage.

Je m’intéressais un peu à la concurrence et j’étais rassurée.

Hildegarde Florence Foresti

Moi aussi je pouvais me tatouer sur le derrière le plan de la fourmilière et creuser un tunnel qui m’emmènerait de chez papa à la Guiness Tavern, c’est dans mes gènes l’art de creuser des tunnels (ce qui me fait penser que je pourrais faire quelque chose pour mon Paulo). Moi aussi je peux me rebaptiser Tata Kronenbourg si ça suffit à faire rire Bercy. Moi non plus je ne sais pas danser en boîte. J’avais donc toutes les qualités nécessaires. Il me restait à écrire mon One Woman Show, faire deux ou trois répèt’ et commencer en louant le Zénith.

J’étais rassurée, un avenir flamboyant m’attendait, je reviendrai finalement sur le devant de la scène. Il fallait cependant que je trouve rapidement un job alimentaire pour satisfaire les lourdes exigences de papa et je me rabattais sur les annonces pour étudiants au fond du gouffre, prêts à tout, jusqu’à l’esclavage, pour pouvoir se payer un loyer.

 

Deux propositions revenaient souvent, je testais tout d’abord celle qui me plaisait le plus : barmaid. Travail de nuit, ambiance de fête, alcool sous la main, collègues jeunes et beaux. Je ne comprenais pas pourquoi ce travail était si mal considéré.

J’avais repéré un pub qui recherchait une serveuse, j’y travaillais donc une soirée à l’essai. On m’avait laissé la responsabilité de servir le Get et j’étais très émoustillée. J’y mettais toute mon âme. Je demandais de ma voix flûtée « 27 ? 31 ? Glaçons ? Glace pillée ? ». Je m’entendais souvent répondre « M’en branle, j’ai soif, grouille-toi », mais cela n’entamait en rien ma motivation. J’allais devenir la reine du Get.

Hildegarde-Tete-d-aigle-en-bois.jpgMalheureusement, le patron du pub s’aperçut que les bouteilles s’étaient sérieusement vidées sans que la caisse ne se soit sérieusement remplie. Ce n’est pas de ma faute, je me suis laissée griser par cette odeur de menthe et, va savoir comment, je me suis retrouvée complètement pintée à vomir vert dans le caniveau. Je n’ai pas été payée, mais j’hésite à appeler un avocat.

 

J’ai dû me rabattre sur la dernière solution, à savoir téléopératrice. Quitte à répondre au téléphone, j’avais postulé pour du téléphone rose, bien mieux payé. Seulement, il paraît que ma voix n’est pas flûtée, mais nasillarde (rien de très étonnant, au vu de la taille de mon nez).

Hildegarde téléphone rose

Aujourd'hui, j’appelle des gens à leur domicile à l’heure des repas (ce qui n’est techniquement pas une bonne façon de les mettre de bonne humeur) pour leur vendre de la porcelaine, des canapés en cuir ou des forfaits téléphone/télé/internet que personne ne comprend, même pas moi. Le but est d’embrouiller suffisamment ses interlocuteurs et de leur soutirer un oui.

Au début, j’ai eu très peur que ce travail m’ennuie, mais, avec mes collègues, on s’amuse comme des folles. On met le haut parleur quand les gens ont des voix ou des accents étranges et on compte le nombre de gogos auxquels on a vendu un canapé avec un crédit sur 15 ans à 22 % d’intérêts.

Si j’avais su que j’allais être payée (au lance-pierre, soit dit en passant) à persifler et à arnaquer de pauvres bougres, j’aurai commencé par là.

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